
Edito - Décembre 2021
En mai 2021 dans une interview au journal Le Soir, Emmanuelle Lallement anthropologue de la fête, déclare « Le confinement a fait de la fête un objet politique », tout ça au moment de l’organisation des Boum au Bois de la Cambre. Bien que l’on soit nombreux.ses à penser que nous n’avons pas attendu l’épidémie de COVID pour considérer la fête comme politique, des gens ont tout d’un coup découvert la répression de l’Etat à travers la charge de la police montée et la suffocation par gaz lacrymogène, apparemment mesures sanitaires efficaces contre les épidémies.
Le milieu festif, c’est quoi ?
Chaque personne a une image de ce qu’est pour elle la fête, il est très difficile d’avoir une acception homogène de cette question même si, au niveau sociétal, on pourrait envisager la fête comme un moment exceptionnel, qui se placerait en dehors des normes du quotidien, et qui se partage avec des personnes inconnues ou non.
Les puissances politiques dominantes osent rarement empêcher purement et simplement la fête, mais ont toujours eu la volonté de contrôler les espaces festifs populaires, en restreignant leur liberté et en les remplaçant par des fêtes officielles : fête de la musique, festival légal, fête nationale…
Celui dont on veut parler, on le voit comme un espace et un moment hors normes, oú l’on créé parfois de nouvelles règles, ou l’on expérimente la transgression de certaines limites. Il peut y avoir de la musique, il peut y avoir de la consommation de produits psychoactifs, il peut y avoir des relations sociales et sexuelles, et donc nécessairement des rapports de domination et des abus. Depuis quelques semaines, le milieu festif est omniprésent dans les médias, le mouvement #balancetonbar a rappelé que ce n’est pas un univers qui existe en dehors de la société, que le sexisme, les LGBTQIphobies ou le racisme y sont présents, et que son organisation dépend en grande partie de personnes qui ne sont pas concernées par ces oppressions. Il est de notre responsabilité de rappeler que se centrer sur la soumission chimique pour évoquer les agressions sexuelles dans nos milieux n’est pas la clé, c’est aussi oublier que les viols se déroulent le plus souvent dans la sphère intime, et que les victimes ne devraient pas être celles que l’on sur-responsabilise encore, que la peur doit changer de camp. Les espaces festifs que l’on créé ne seront jamais parfaitement safe, mais un réel travail sur les mentalités est nécessaire .
Cela fait maintenant 2 ans que ce milieu vit à la merci des décisions de nos gouvernant∙e∙s. La première de ces décisions a été de définir les milieux dits essentiels (aka autorisés et encadrés) ou non essentiels (aka interdits et réprimés). Les espaces festifs ont alors été clos immédiatement au nom de la protection de la Santé du citoyen∙ne, érigé∙e comme la boussole nous guidant dans l’obscurité d’une pandémie inconnue. Pourtant la santé ce n’est pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité, l’Organisation Mondiale de la Santé la définit d’ailleurs comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste justement pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». A quel moment les mesures sanitaires ont répondu à cette définition ?
Et les usager∙e∙s de la fête alors ?
Tout le monde n’est pas égal face aux restrictions sanitaires imposées par le gouvernement. Alors que le premier confinement a pu être vu comme un moment où certain∙e∙s se sont décidé∙e∙s à profiter d’un temps libéré de contraintes quotidiennes, peu de choses ont été pensées pour celles.eux qui ont dû assumer à plein temps ce que la société ne pouvait plus prendre en charge (enfants, parents etc) .
Les personnes précaires dont l’espace de vie est en général réduit, les personnes contraintes de vivre dans des environnements familiaux oppressants et violents, comme certaines personnes LGBTQI, ou les femmes victimes de violences conjugales ont pris de plein fouet des mesures supposées protéger leur santé.
En leur imposant un confinement strict et une bulle sociale fortement réduite, et donc un accès à leur communauté de soutien et sociale légalement impossible, les mesures n’ont fait qu’affaiblir des santés mentales déjà fragiles et parfois même exposé leur intégrité physique à encore plus de violences. L’échappement, que rend possible la fête, est devenu impossible.
De plus, rappelons que la fête est aussi une première approche de la consommation de produits psychoactifs légaux (alcool) ou illégaux (cannabis, ecstasy, cocaïne, kétamine etc), produits avec des risques inhérents à leur composition ou à la façon de les consommer. Une grande partie de notre travail est d’informer et de réduire ces risques, c’est toute l’hypocrisie d’une société prohibitionniste qui d’un côté punit tout en laissant des miettes pour l’accompagnement reconnaissant de fait son inefficacité structurelle à faire disparaitre un problème qu’elle ne fait qu’accentuer par sa répression.
Toute une génération assignée chez soi n’a eu donc aucun accès à ces informations, la logique de nos gouvernant∙e∙s étant que si l’on réprime les mouvements et les rassemblements, il n’y en aura pas ; pourtant on sait que la répression ne fait que rendre l’interdit plus risqué mais ne le fait jamais disparaitre.
Tout cela s’est retrouvé renforcé par une temporalité sans sens. Alors que le premier confinement est souvent vécu de manière moins violente car répondant à une urgence et que l’on ne connait peu de choses de l’épidémie, l’enchainement des mesures répressives et infantilisantes, la bulle sociale, les 2e, 3e, 4e vagues, les mesures incomprises n’aboutissent qu’à des prises de risques encore plus grandes.
La figure du « Jeune » :
Dès que l’on parle de milieux festifs, la tendance est à les restreindre à une masse homogène responsable de tous les maux, égocentrique, sans aucun respect pour l’autorité, et avec un penchant à la désinhibition sous substance : le/la jeune.
Ce jeune festif que ses voisin∙es n’hésitent pas à signaler aux autorités compétentes, que l’on estime puéril avec ses demandes sans fondement (manger, socialiser, faire des études, rencontrer des gens, avoir des relations sexuelles) face aux vrais problèmes des adultes, jeune qui s’est pourtant confiné et a respecté en grande partie les mesures imposées par respect pour ses parents et grands-parents. Ce jeune à qui on promet un avenir tout en détruisant consciemment toute possibilité d’un futur.
Ce manque de confiance institutionnel du pouvoir envers ceux et celles qui souvent ne peuvent pas se conformer à ce qu’on leur demande, qui ne les évoque que pour les critiquer et leur faire remarquer leur manque de responsabilité, a été le leitmotiv de la pensée gouvernementale. .
En tant qu’acteurs, actrices et activistes de la réduction des risques, on ne peut pas s’empêcher de faire le lien avec l’Autre épidémie, celle contre laquelle on se bat depuis plus de 35 ans, le VIH/SIDA. Comment ne pas faire le lien ? Comment ne pas être sidéré du mépris de nos gouvernant∙e∙s envers tout ce qui a été mis en place pour favoriser les comportements les moins à risques pour soi et pour les autres ?
Lorsque le terme COVID Party (fête alors supposée permettre la contamination des participant∙e∙s) a été utilisé la première fois dans les médias, nous avons repensé aux fameuses supposées soirées « Plombage » où les participants avaient des relations sexuelles non protégées pour se transmettre volontairement le VIH. Encore une bien belle façon de détourner l’attention du vrai problème.
Une façon de monter en épingle un comportement totalement minoritaire pour en faire une règle d’un groupe social. Avec le VIH c’était la communauté gay, irresponsable, incapable d’arrêter de baiser, inconsciente ; avec le COVID c’était les jeunes, qui ne se font pas vacciner, et qui n’ont aucune capacité à prendre soin d’eux et surtout des autres.
Et pourtant dans le cas du VIH, ce sont les gays qui ont développé leur propre outil de réduction des risques, qui se sont occupé les uns des autres, qui sont allés chercher du fric pour financer la recherche et ont fini par convaincre l’Etat que la prévention par la peur et la répression ça ne fonctionnait pas. 35 ans de réduction des risques n’ont pas suffi à faire comprendre que rendre payant les tests, diviser une population entre des bons et des moins bons, faire croire aux premier∙e∙s qu’ils.elles sont protégé∙e∙s et aux autres qu’ils.elles sont meurtrier∙e∙s était une mauvaise piste dans la gestion d’une pandémie.
Robin Drevet