
La prison, là où la Réduction des Risques fait grise mine
Opération Boule-de-Neige en prison : Focus sur des actions de RdR par des détenus pour des détenus en Région wallonne
De manière générale, la santé des détenus usagers de drogues et spécifiquement la réduction des risques liés à l’usage de drogues en prison, représentent des enjeux considérables en terme de Santé Publique.
À l’heure où le transfert des compétences des soins de santé des détenus est en marche (du SPF Justice au SPF Santé Publique) et que le KCE coordonne l’étude de sa mise en œuvre, la Promotion de la Santé dans nos prisons ne se limite pourtant qu’à des balbutiements.
Des opérations Boule-de-Neige (coordonnées par Modus Vivendi et menées localement par ses partenaires (1)) ont été menées en milieu carcéral tant à Bruxelles qu’en Wallonie depuis 2001. L’arrêt du financement (2) de ces actions participatives en a malheureusement sonné le glas (3).
Lors de ces opérations, des détenus (ex)usagers de drogues et formés au terme de plusieurs sessions, vont à la rencontre d’autres détenus afin de les sensibiliser à divers aspects relatifs à leur santé : risques de transmission d’infections virales, overdoses, accès au dépistage... Ces sujets tabous sont abordés par les détenus à l’aide d’un questionnaire anonyme, outil permettant également une récolte de données unique en son genre.
Entre 2009 à 2014, 718 questionnaires ont été collectés auprès des détenus (ex) usagers de drogues (hormis tabac et l’alcool) dans les 4 prisons wallonnes qui ont accepté que des opérations Boule de Neige soient menées. Il ressort de l’analyse quantitative que 66,8 % des répondants ont reconnu une consommation lors de l’incarcération en cours. Un pourcentage sans doute plus élevé dans la réalité vu le caractère « délicat » de la question. Plus de 80% des détenus qui consommaient quelques mois avant d’être incarcérés auraient continué leur consommation en prison. Comme le relevait déjà l’enquête sanitaire menée par le SPF santé publique en 2008, l’univers carcéral ne constitue décidément pas un cadre favorable à l’abstinence pour les usagers (4).
A plusieurs reprises, outre des comportements à risques, l’analyse pointe également une contradiction entre connaissances et prises de risques. Il n’est pas aisé de trouver une explication à ce constat. Par contre, ceci induit bien que l’adoption de comportements à moindres risques nécessite une interaction entre un ensemble de facteurs à renforcer tels que :
- les connaissances en matière de risques en multipliant et variant les messages et leur support ;
- l’accès aux matériels et services : dépistage, vaccination, traitement de substitution, matériel de consommation, préservatifs et lubrifiant…
- les compétences personnelles (estime de soi, confiance en soi, aptitudes) en mettant l’accent sur des projets participatifs ;
- les réseaux et relais
- le renforcement de la sensibilisation et des compétences des professionnels au sein de la prison ;
- la circulation de l’information en prison au sein des prisons et avec les services extérieurs.
- sans oublier un environnement axé sur la réinsertion
La santé des détenus constitue un véritable défi tant d’un point de vue de santé publique (17 000 personnes sont libérées chaque année) qu’au niveau éthique. Il en est de la responsabilité des pouvoirs publics de prendre soin des 11 000 hommes et 500 femmes détenus en Belgique.
Le temps de la détention est trop souvent un temps vide de sens et vide d’actions. La promotion de la santé y a toute sa place. L’expérience du projet Boule-de-Neige a montré à Modus Vivendi et à ses partenaires combien la soif d’apprendre, le souci de leur santé et la volonté d’être utile aux autres sont présents chez une part importante des détenus, pour peu qu’on leur en donne les moyens.
Pour Modus Vivendi,
Cécile Beduwé et Vinciane Saliez
Pour plus d’informations sur l’analyse quantitative et le projet BdN
Pour mieux comprendre la méthode des opérations BdN en prison
(1) Partenaires wallons : Le Comptoir asbl, Carolo Rue, le CAL Luxembourg, Namur Entraide Sida, l’Echange asbl, Le Centre Alfa asbl, Service Prévention de la ville Mons.
(2) De 2006 à 2014, le Service Soins de Santé Prison du SPF Justice a financé ce projet et en a soutenu la mise en place.
(3) http://pro.guidesocial.be/actualite...
(4) Todts, S., Glibert, P., Van Malderen, S., Saliez, V., Hogge, M. & Van Huyck, C., l, Usage de drogues dans les prisons belges : Monitoring des risques sanitaires. Service Public Fédéral Justice, Bruxelles, 2008.